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Maarten Vanthemsche (BBDO): "La course au prix le plus bas n'est plus viable et l'avènement de l'IA ne fait qu'aggraver la situation"

Dimanche 28 Avril 2024

Maarten Vanthemsche (BBDO):

En début d’année, Omnicom annonçait la mise en place d’une holding belge intégrant ses trois réseaux créatifs - TBWA, DDB et BBDO -, baptisée Omnicom Advertising Services Belgium (OAS) et placée sous la direction de Kris Govaerts et Bert Denis. Une annonce suivie quelques semaines plus tard par la mise sur orbite du "nouveau" BBDO Group, regroupant les marques BBDO, Think BBDO, Darwin et… DVLR DDB avec aux commandes son Strategy Director Maarten Vanthemsche, nommé CEO du nouvel ensemble. 

L’objectif : proposer une offre totalement intégrée, fondée sur la conviction que la créativité est au service de l’efficacité - le mantra de BBDO. 

Une mission ambitieuse, surtout avec l’IA qui redéfinit la valeur de la créativité, comme nous l'expliquent Maarten Vanthemsche et la Chief Strategy Officer Sofie Verstreken, de retour chez BBDO après deux ans chez DPG Media. 

« Au cours de mes nombreuses années passées chez l’annonceur, notamment chez Unilever et Delhaize, j’ai toujours été convaincu de la valeur de la créativité, conviction que l’on ne retrouve pas nécessairement chez les annonceurs. C’est pourquoi je suis passé du côté agence, chez DDB en l’occurrence. La nouvelle histoire de BBDO qu'Omnicom nous demande d’écrire aujourd’hui est particulièrement intéressante sur ce plan », introduit le CEO.

Que voulez-vous dire ?

Maarten Vanthemsche : Le business model éprouvé des agences est arrivé à son terme. Il y a quelques décennies, on assistait à une vague de campagnes qui utilisaient les émotions pour pénétrer dans l’espace personnel des consommateurs. Avec l’avènement des réseaux sociaux, nous avons commencé à créer des dispositifs principalement destinés à être partagés. Dans cette course aux shares et aux likes, l’équilibre a basculé vers des campagnes qui tiennent moins compte du business. Aujourd’hui, nous devons donc opérer un nouveau saut, où la créativité fait la différence pour le business en générant de la croissance. Chez BBDO, notre devise est aussi notre description de fonction : "We create effectiveness". 
Sofie Verstreken : Relier créativité et business se fait via des insights émotionnels qui ne font pas uniquement la différence en haut du funnel, mais sont effectifs également dans des canaux plus axés sur la conversion. C’est une richesse inexploitée. Dans cette conviction, Maarten et moi, nous nous sommes trouvés et nous formons un duo complémentaire.

Maarten Vanthemsche : Par ailleurs, notre industrie souffre également du manque de confiance entre les annonceurs et leurs agences. 
Nous devons la restaurer avec nos marques et nos équipes, afin de donner un élan positif à BBDO et inverser la tendance, pour notre groupe et l’ensemble du secteur. 

Outre la crise de confiance des annonceurs que vous évoquez, l’industrie doit prendre en compte d’autres facteurs de rupture tels que la percée irrésistible de l’IA. Quel en est l’impact ?

La technologie qui facilite le processus de création n’est pas nouvelle. Ce qui l'est, en revanche, c'est la technologie capable de penser par elle-même… Il est clair que l’IA modifiera radicalement notre business. Reste à savoir comment. On en parle beaucoup mais il existe encore peu de réelles applications.

Des études indiquent que l’IA génère un accroissement de la rentabilité de 40% et que son utilisation élève indéniablement la barre de la qualité. Mais l’IA est basée sur ce qui existe déjà, son output est donc beaucoup moins diversifié. Par conséquent, si tout le monde utilise les mêmes outils, vous obtiendrez la même uniformité et le même grand dénominateur commun. Vous n’y trouverez pas de créativité. Elle est plutôt à chercher à l’extérieur, à la périphérie. 

Prenez la campagne "La voiture de votre vie" de Volkswagen. Si les créatifs avaient demandé à ChatGPT d’écrire un script, cela aurait probablement donné des scènes avec des gens et une voiture en mouvement, car c’est ce qu’on trouve couramment dans les publicités pour les voitures, et l’IA travaille à partir de matériel existant. Les créatifs de Voltage ont eu l’idée exactement inverse : des images sans aucun être humain, avec une voiture à l’arrêt. C’est précisément en cela que cette pub est créative et efficace. 

Il faut protéger cette créativité, parce que nous en avons besoin pour résoudre des problèmes commerciaux complexes. Si nous n’investissons pas dans la protection des talents créatifs, nous nous réveillerons dans 10 ans dans un monde où nous ne maîtriserons plus cette compétence. 

Pour le dire autrement, nous devons mettre la créativité sur un piédestal et veiller à former une génération capable de penser sans IA. C’est un peu comme avec le GPS : plus personne n’utilise de carte, alors qui peut encore les lire de nos jours ? Je pense que l’on réfléchit trop peu à ce que sera le monde une fois que nous aurons totalement adopté l’IA. 

C'est une réflexion que vous partagez avec vos clients ?

Nous devons aussi ouvrir ce débat sur la valorisation de la créativité avec eux. La course au prix le plus bas n’est plus viable et l’avènement de l’IA ne fait qu'aggraver la situation. Quand on sait que 20% de notre job consiste en un vrai travail de réflexion et que les 80% qui en découlent sont progressivement engloutis par l’IA, une question incontournable se pose : comment allons-nous valoriser ces 20% ? 

Sofie Verstreken : Un raisonnement similaire s’applique aux compétences stratégiques. Aujourd’hui, les stratèges sont principalement devant leurs écrans, car ils disposent ainsi d’une énorme quantité de données. Mais le super-pouvoir d’un stratège est et reste qu’après deux jours de déambulation dans les rues, il sait comment tirer les bons insights de la synergie des données, capables d’inspirer la création qui, à son tour, pourra générer un stopping power dans un océan de similitude. Nous devons également préserver cette compétence.

Par ailleurs, nous devons aussi penser au caractère public de tout ce qui nous sert à entraîner l’IA. Tout ce que vous y mettez sera utilisé par la suite, la question de la privacy est pertinente. C’est pourquoi au sein du groupe nous travaillons dans un environnement protégé.

Maarten Vanthemsche : Je voudrais conclure par une dernière réflexion. Si l'IA tire le meilleur des données, nous devrions nous demander si nous, en tant qu'humains, devrions alors essayer de rendre ce résultat encore meilleur. N'est-il pas arrogant de penser que les humains sont plus intelligents ou meilleurs que l'IA ? Ne devrions-nous pas nous fier à la machine ? La recherche montre que plus nous manipulons les résultats du ChatGPT, plus la qualité de ces résultats diminue.

Sofie Verstreken : En d’autres termes, nous devons faire des choix : quelles tâches confier ou non à l’IA ? Il n’existe pas encore de procédures pour cela… De plus, n’oublions pas que l’IA modifie le processus de décision et d’achat des consommateurs. Le branding et l’attribution seront encore plus importants qu’ils ne le sont actuellement et les possibilités de marketing automation augmenteront. Nous avons donc besoin de stratèges suffisamment flexibles pour réinventer constamment ce parcours. La curiosité était déjà primordiale dans notre métier, mais elle sera plus essentielle que jamais.

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